La décision provisoire rendue par le juge Toffoli a un effet immédiat sur près de 13 000 demandes de brevet au Brésil.
Le 7 avril 2021, la Cour suprême brésilienne devait juger de la plainte constitutionnelle introduite en 2016 contre le seul paragraphe de l’article 40 de la loi sur la propriété industrielle (LPI) de 1996. En raison de la délibération d’une autre affaire introduite en priorité à l’ordre du jour, la Cour a reporté le début de l’audience de l’affaire sur la durée des brevets brésiliens. Cette affaire est désormais à l’ordre du jour de la séance plénière du 14 avril 2021.
Après l’annonce par la Cour de la nouvelle date d’audience, le juge rapporteur Toffoli a partiellement accordé une requête provisoire (RP) demandée le 24 février 2021 par le Procureur de la République (PR) visant à suspendre l’effet du seul paragraphe de l’article 40 pour les nouveaux brevets délivrés couvrant les produits et procédés pharmaceutiques, ainsi que les équipements et matériels à usage médical accordés après le 8 avril. La décision provisoire n’a pas d’incidence sur les brevets délivrés couvrant ces inventions ou les brevets nouvellement délivrés revendiquant des inventions dans d’autres domaines. La décision provisoire restera valable jusqu’à ce que la Cour suprême rende sa décision finale sur le fond, ce qui pourrait avoir lieu dès le mercredi 14 avril prochain.
Le juge rapporteur Toffoli a également anticipé son rapport de 86 pages et son opinion sur le fond de l’affaire, qui sera encore présenté à la Cour lors de la séance plénière du 14 avril, après les plaidoiries du Procureur de la République, de l’Avocat général et des amici curiae. La décision provisoire se trouve au dernier paragraphe du document de 86 pages.
Dans son opinion sur le fond, le juge Toffoli reconnait l’inconstitutionnalité du seul paragraphe de l’article 40 de la loi brésilienne sur la propriété industrielle (LPI). L’opinion du juge Toffoli concernant les effets du jugement propose une clause de droits acquis à tous les brevets existants délivrés avant le 8 avril, limitant l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité à aux effets ex nunc, empêchant ainsi la rétroactivité des effets de la décision dans le temps.
Cependant, l’opinion du juge Toffoli prévoit deux exceptions. La décision aura des effets rétroactifs (ex tunc) (i) pour les litiges en cours devant les tribunaux de première instance et d’appel, dans lesquels la constitutionnalité du seul paragraphe de l’art. 40 de la loi brésilienne de 1996 sur la propriété industrielle est soulevée ; et (ii) pour tous les brevets couvrant les produits et procédés pharmaceutiques, ainsi que les équipements et matériels médicaux destinés à être utilisés dans les soins de santé.
L’inconstitutionnalité du seul paragraphe de l’article 40, l’application de la clause d’antériorité et ses deux exceptions, proposés par le juge rapporteur Toffoli dans son opinion seront prononcés si confirmées par la majorité des juges de la Cour suprême (au moins six juges).
Deux mémoires présentés par Licks Attorneys représentant AB2L (Association brésilienne des Lawtechs et Legal techs) en tant qu’amicus curiae ont été cités et mis en évidence, aux pages 48 et 49 de l’opinion. Le juge Toffoli affirme que l’impact de l’affaire pour tous les secteurs économiques a été mis en cause par AB2L. Il s’agit du seul amicus curiae en faveur de la constitutionnalité citée dans l’opinion. Licks Attorneys est honoré de représenter AB2L et d’assister la Cour suprême brésilienne dans le plus important litige en matière de droit des brevets qui ait jamais été porté devant les tribunaux brésiliens.
Le 8 avril, le juge Toffoli a rendu une opinion complémentaire pour clarifier la portée de la décision provisoire rendue la veille. Compte tenu de la « grande complexité de l’affaire » reflétée dans son opinion, « des éclaircissements sur les impacts concrets de la décision provisoire » étaient nécessaires. Il a été ainsi souligné que le champ d’application était limité aux brevets couvrant les produits et procédés pharmaceutiques, ainsi que les équipements et matériels médicaux destinés à être utilisés dans les soins de santé. Concernant l’application de la décision provisoire dans le temps, le juge rapporteur surligne la limitation des effets rétroactifs (ex nunc): la décision provisoire n’a pas pour effet d’invalider les actes déjà pratiqués par l’INPI sur la base de la disposition contestée.
Résumé de l’opinion du juge Toffoli
Le juge Toffoli reconnait l’inconstitutionnalité du seul paragraphe de l’article 40 de la loi brésilienne sur la propriété industrielle (LPI), sur la base de six arguments principaux, résumés comme suit :
Quel est l’impact réel de la décision provisoire ?
Le règlement régissant la procédure devant la Cour suprême ne permet pas qu’une décision provisoire ait des effets rétroactifs (elle a des effets ex nunc). Il ne sera applicable que pour les brevets pharmaceutiques délivrés à partir du 8 avril, et ce jusqu’à la décision finale de la Cour.
La décision provisoire est limitée à tous les brevets couvrant les produits et procédés pharmaceutiques, ainsi que les équipements et matériels médicaux destinés à être utilisés dans les soins de santé. La notion d’« usage dans les soins de santé» n’est pas définie par le juge rapporteur . La décision ne limite pas son champ d’application aux brevets liés à Covid-19.
La décision provisoire n’aura pas d’effet sur les actions en nullité en cours fondées sur des motifs d’inconstitutionnalité liés à l’affaire devant la Cour suprême.
Quel est l’impact de l’opinion du juge rapporteur Toffoli si elle est confirmée par la majorité des juges de la Cour suprême ?
Le juge Toffoli a déclaré l’inconstitutionnalité de la disposition avec effets ex nunc, assortie d’une clause de droits acquis à tous les brevets valables délivrés avant le jugement par la Cour, fixant une limitation des effets rétroactifs. Ainsi, seuls les brevets délivrés à partir de la date de la décision finale de la Cour suprême ne pourront pas bénéficier du seul paragraphe de l’article 40 de la loi brésilienne sur la propriété industrielle de 1996 (LPI). La règle spéciale de la durée de 10 ans (brevets d’invention) ou de 7 ans (brevets de modèle d’utilité) à compter de la délivrance ne sera plus en vigueur au Brésil.
L’opinion du juge Toffoli établi deux exceptions, déterminant l’application des effets ex tunc (rétroactifs) :
(i) pour les procédures judiciaires en cours, dans lesquelles l’inconstitutionnalité du seul paragraphe de l’art. 40 de la loi brésilienne sur la propriété industrielle est soulevée. Le juge n’a pas précisé l’extension de l’applicabilité de cette exception, ce qui peut créer une insécurité juridique pour les titulaires de brevets.
(ii) les brevets délivrés en application de la disposition contestée couvrant les produits et procédés pharmaceutiques, ainsi que les équipements et matériels « à usage dans les soins de santé » verront leurs durées ajustées / réduites en appliquant la règle générale (20 ans ou 15 ans à compter du dépôt). Il y a un risque d’annulation des brevets en raison de cette détermination.
En vertu de ces deux exceptions, l’opinion remplace la période de 10 ans à compter de la délivrance du brevet délivré par l’INPI en application du paragraphe unique de l’article 40 par la règle générale des 20 ans à compter du dépôt par celle de l’article 40 lui-même. De nombreux brevets seront réputés expirés ou verront leur durée de validité considérablement raccourcie par la décision. Si elle est confirmée, il n’est pas clair si la décision sera auto-exécutoire ou si une procédure de réémission des certificats par l’INPI sera nécessaire.
Commentaires de Licks Attorneys sur l’opinion du juge rapporteur
La décision du juge Toffoli est fortement anti-brevet et confuse en ce qui concerne ses impacts sur le système des brevets brésiliens.
L’inconstitutionnalité reposerait principalement sur la doctrine de “l’état de choses inconstitutionnel” concernant la procédure et la durée des brevets au Brésil. Il a été utilisé non seulement au Brésil, mais aussi par la Cour constitutionnelle colombienne. En invoquant cette doctrine, la Cour suprême reconnait l’échec des pouvoirs législatif et exécutif à faire appliquer les politiques publiques contre la violation des droits fondamentaux (dans cette affaire, le droit à la santé), justifiant ainsi une intervention judiciaire. Il est similaire au recours en injonction structurelle de droit américain.
La loi sur la compétence constitutionnelle (loi n ° 9.868/99) et la jurisprudence de la Cour suprême prévoient la possibilité de restreindre les effets des décisions de la Cour dans le temps, tel qu’appliqué par le juge Toffoli pour déterminer les effets ex nunc et ex tunc. Cependant, les exemptions proposées par le juge Toffoli ne suivent pas la technique établie par la jurisprudence de la Cour. Il traite du fond de l’affaire et non de la manière dont la décision du tribunal sera appliquée dans le temps.
La restriction de constitutionnalité à un secteur spécifique (pharmaceutique) est une question de non-discrimination, un droit fondamental prévu dans la Constitution brésilienne (art. 5, caput) et sur les ADPIC (27.1). De plus, en excluant les « litiges en cours » sans fixer de délai ou de paramètres juridiques fondés sur le Code de procédure civil entraînera une insécurité juridique – ce qui est contraire à l’effet attendu de ce type de mécanisme judiciaire. Nous avons déjà identifié de nouvelles actions en nullité qui viennent d’être introduites devant les tribunaux pour tirer des avantages de l’exception proposée par le juge Toffoli à la clause des droits acquis.
La référence non technique et large aux biens « à usage de soins de santé » apporte également une incertitude quant à l’application de la décision, car elle n’est pas définie dans l’opinion. Il s’agit d’un des aspects critiques quant à la portée de la solution proposée dans l’opinion du juge Toffoli. La décision ne se limite pas aux produits concernant le Covid-19 – que ce soit pour la décision provisoire ou dans l’opinion anticipée sur le fond.
Une lacune importante dans l’opinion du juge Toffoli concerne les demandes de brevet en examen. Il existe 12.705 demandes de brevet régulièrement déposées avec un temps d’attente d’examen de plus de dix ans à l’INPI brésilien (12.168 demandes de brevets d’invention et 537 demandes de brevets de modèles d’utilité). Telle que rédigée par le juge rapporteur, l’opinion ne fait pas valoir à ces demandes la clause de droits acquis avec un effet ex nunc. En d’autres termes : il existera un impact substantiel pour tous les secteurs industriels. L’opinion du juge Toffoli apporte une grave incertitude juridique.
Demandes de brevets d’invention en attente d’examen avec un temps d’attente supérieur à 10 ans: par domaine technique
Toutes les 537 demandes de brevet de modèle d’utilité sont de compétence du groupe d’examen « modèle d’utilité »
Demandes de brevets d’invention en attente d’examen avec un temps d’attente supérieur à 10 ans: par pays du déposant
Comme mentionné ci-dessus, la référence non technique et large aux inventons « à usage de soins de santé » apporte de l’incertitude à l’étendu de la décision. Actuellement, il n’y a que 2 935 demandes de brevets d’invention classées comme étant du domaine pharmaceutique.
Demandes de brevets d’invention en attente d’examen avec un temps d’attente supérieur à 10 ans: par pays du déposant dans le domaine pharmaceutique (pharmaceutique et biotechnologie)
Il convient de noter que 1914 demandes de brevet d’invention en attente d’examen (selon la base de données BRPTO) seraient immédiatement déclarées expirées si elles étaient délivrées en application de la règle générale des 20 ans à compter du dépôt.
Demandes de brevets d’invention en attente d’examen avec un temps d’attente supérieur à 20 ans: par domaine technique
Demandes de brevets d’invention en attente d’examen avec un temps d’attente supérieur à 20 ans: par pays du déposant
Prochaines étapes
L’affaire a été incluse dans l’ordre du jour de la séance du 14 avril 2021 de la Cour. Comme l’ordre du jour pour cette séance de la Cour est assez rempli, il existe un nouveau risque de report de l’audience de cette affaire. La décision provisoire rendue sera en vigueur jusqu’à la décision finale par la plénière de la Cour. Les plaidoiries du Procureur de la République, de l’Avocat général et des amici curiae auront lieu lors de la prochaine audience, malgré l’anticipation de l’opinion du juge rapporteur.
Licks Attorneys est engagé dans tous les aspects de l’affaire devant la Cour suprême, quatre associés devront plaider lors de l’audience du 14 avril. Le cabinet représente des associations couvrant un large éventail de titulaires de brevets dans différents domaines techniques. Les derniers développements concernant cette affaire sont disponibles sur le site web spécialement développé par notre équipe : https://www.lickslegal.com/information-about-the-brazilian-patent-system. Pour plus d’informations, contactez-nous au info@lickslegal.com.